« La poétique diplopique d’une étoile double », Catherine Pomparat

 

 

« Approchez-vous d’une étoile et vous voilà au soleil. Ne vous en approchez donc que si vous avez l’âme
(et le corps) assez humide, que si vous disposez d’une certaine provision de larmes, si vous pouvez supporter une certaine déshydratation (momentanée) : cela vous sera revalu. En pluie apaisante. »
Francis Ponge, Le soleil placé en abîme, Pièces, Gallimard, Poésie, 1962, p. 152

« Eh bien voilà, dit Boustrophédon en entrant dans le salon de musique, c’est là que ça se passe ! » Son regard circulaire balaie l’espace et semble à la fois trouver et chercher encore une chose à la fois visible et invisible.
The Thing to Do serait d’écouter les formes du silence mais le son profond de la trompette de Blue Mitchell répand un flux de tonalités binaires dont la chaude intensité ne peut pas être dominée.

Une étoile double produit une énergie qui rayonne à la puissance de la variété d’atmosphères qu’elle s’ingénie à traverser. Brillante d’une lumière singulière, elle se prend au jeu des Porteurs de lanternes et circonscrit deux sphères indéfinies.
Deux « pièces d’ébullition »* sont en exposition dans le salon. Leur perception est relative aux espèces d’espaces qui prolifèrent par devant et par derrière un mouvement de symétrie tournant à l’infini.

Boustrophédon se sent brûlant : l’intrication compacte et aérée, entretissée et détachée, électrique et bluesy, simple et allitérée… des matériaux qui composent l’astre, le prend d’insolation. Les impulsions du couple d’étoiles animent l’air et chargent les tasseaux insolés en courants ambivalents.
La consistance des matières assemblées s’efface devant le mouvement des formes. La dualité de la pièce est pourtant de l’ordre de la substance des morceaux de bois de pin maritime et des fragments de fils d’acier.
Contention de force et de fragilité, l’équilibre se contrebalance sur deux fois cinq pieds.

Par-delà les effets objectifs de tension et de pression entre les lignes de construction et l’entrecroisement des éléments ligneux modulateurs d’espace et de lumière, chaque pièce capture la surface réfléchissante de l’autre.
L’étoile ouvre indéfiniment l’aire d’une éternelle confrontation : «  Eh quoi ! Tout est sensible ! Je n’ai qu’à suivre Le Parcours des fées et prendre la spirale ! » pense Boustrophédon, spectateur et acteur qui parle et qui répond : « L’homme est double. » C’est ce que nous avons ici avec l’oscillation de la vision.

La matière intangible du vide entre les deux orbites détermine alors l’espacement des constellations. Entre deux états de passion, Boustrophédon reprend haleine et transporte son énergie dans les tasseaux ni tout à fait rectangles, ni tout à fait noirs. « Oui ! c’est bien là que ça se passe… »
Les polyèdres cèdent leurs propriétés géométriques à la musique qui les fait léviter. La verticalité dédoublée dynamise deux portées étoilées. Elles trouvent leur rythme dans la mesure des lattes refendues et répétées.

« Silence ! » ordonne l’étoile double qui agrée les pauses obscures de l’incontenable structure dans la nature du ciel étoilé. Les constellations n’existent pas, seules existent les étoilent qui les composent. Ces abstractions lumineuses mobilisent l’attention de Boustrophédon et immobilisent un instant le mouvement des lignes de tension.
Les formes éclatées tracent un phrasé approprié aux traversées d’une planète à l’autre. Paroles et silences sont liés. La double personnalité de l’astre est avérée : on n’écrit pas, lumineusement, sur champ obscur, l’alphabet des astres.

Divagations. Des mots suspendus à la Rue de La Vieille-Lanterne d’un pendu rythment la durée d’une action restreinte. Dédoublement : un mystère d’amour dans le métal repose.
L’étoile soumise aux puissances de résistance et de relâchement de l’espace constellé dédouble le firmament.
Une dualité, difficile à nommer d’entrée à cause de la mauvaise renommée de la duplicité, faisait donc allusion à cette aspiration profonde d’être ici et là, en haut et en bas, devant et derrière, etc. à chaque fois qu’une vision unique est imposée.

Boustrophédon pénètre avec félicité l’ubiquité de l’étoile double. Il bouge sans retenue dans la gémellation. Les deux corps célestes permutent. Les trous d’ombre de l’une renversent les orbes lumineuses de l’autre. Les rythmes plastiques s’articulent à une légende.
Il y a des milliards d’années une météorite s’est brisée sur la terre. Un vent spirituel a soufflé les matières illisibles qui s’écrasaient. L’illisibilité de la comète a donné forme pour l’éternité à des milliers de fragments d’activité qui depuis n’ont jamais cessé de tourner.

Boustrophédon ne cherche pas à expliquer comment se fait l’équilibre tourmenté de l’étoile double, il la traverse et se remplit de son air libre.
Ce qui importe c’est simplement la plus grande liberté de respiration possible.
« Eh bien voilà, pense Boustrophédon, c’est bien là que se passe ma diplopie ! Je vois une météorite tomber sur la Terre et notre vieille planète devient double et s’élève à l’altérité. Je persisterai à m’extra-terrestrer en demeurant sur terre.»

Note
« Une pièce d’ébullition est une pièce sur laquelle notre jugement va courir – défiler – Celui de l’esthète, du profane, de l’examinateur des paramètres,   et de toute autre personne qui la regardera. Juger : soupeser de son regard dubitatif et émerveillé. Hors du simple principe de curiosité, débarrassé du maximum, nous trouverons les exaspérations des naïvetés emmagasinées et mêmes fagotées avec les essentielles questions physiques qui agissent sur les sens là, ici, là-bas, aujourd’hui, demain. Voilà la force. »
Christophe Massé Bordeaux/Perpignan 17 juin/20 juillet 2015

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