« A l’infini », Delphine Costedoat

GrillesCages9« L’espace, dans son infinie densité, détient enchâssées en lui toutes les possibilités. C’est un trou noir, la mesure fondamentale. Développer un concept nécessite de se frayer un chemin à partir de ce trou.
Chaque fil conducteur a sa propre histoire – nous pouvons la tenir à l’écart ou l’étirer ou la plier à notre créativité. Quoi que nous fassions, le fil conducteur conservera son mystère irrésolu, son caractère irrationnel demeurant une intrigue insoluble. Et ce fil est un négatif, un concentré de cette matrice totale fondamentale.
»
Cecil Balmond, Informal, éd. Prestel, 2002

Je ne connais pas Xavier Rèche. L’architecture a été à l’origine d’une rencontre où se nouent les fils conducteurs de plusieurs histoires, en cours, et à venir[1]. Xavier Rèche dit « je » ; il pourrait dire « il ». Il a laissé depuis – ? – la question du sujet de côté pour aborder son œuvre, et c’est de son œuvre qu’il parle. De son œuvre c’est-à-dire de l’Autre et du monde, de ce rapport infiniment irrésolu, de ce que l’on poursuit pour le fuir, de l’indétermination comme un pacte scellé, originel, à jamais reconduit, pour chaque œuvre créée, et donc mise à mort. De tout ce qu’elle aurait pu aussi être. De ce qu’il faudra bien lui arracher, déjà ensevelie (ou statufiée, momifiée, publiée, installée, muséifiée, en tout cas disparue), car de son irruption donc de sa mort simultanée au monde, en ressort la nécessité de reconduire, encore, le pacte de la création.

 

Xavier Rèche place des Cages, Grilles, et des Barrages, dans des plans d’eau et des jardins, ce sont des cadres, les promeneurs y trouvent des repères pour conduire leur regard vers l’univers changeant des plantes et des lumières, des saisons et du vent qui passent. Ce sont des miroirs, sans surface, où projeter l’œil qui éclaire le monde. La série des Sentinelles ou la Cage à étoiles (1950) du sculpteur américain David Smith pourraient en être les compagnes, et le travail de Xavier Rèche en serait certainement un prolongement essentiel, s’il s’était jamais agi pour lui de s’inventer ce rôle, ce qui n’est pas le cas. Ce sont des structures de passage, non pas tant parce que ce sont des installations temporaires que parce qu’elles ouvrent une porte au labyrinthe. Celui de l’humain. De ses racines à son cosmos. De ses déambulations intérieures à ses yeux ouverts sur l’espace où lui et l’Autre ont à réinterpréter, à l’infini, leurs postures et leurs regards. Ce sont des limites, parce qu’elles sont formes, donc signes, et structures, donc langage. Ce sont des opérateurs de rêves. Donc des process, en perpétuel ajustement.

 

Cette œuvre, ces structures, nous manquent, immanquablement. Dans la ténuité de leurs accords, dans leurs noms, dans les repères qu’elles nous proposent, elles disent l’échec à jamais résoudre l’équation de l’humain avec la nature, de l’humain avec l’humain, elles disent l’impossible harmonie. Cette œuvre, ces structures, nous rassurent. Dans la simplicité de leurs profils essentiels, dans leur désir de nous porter, dans leur incitation, douce et ferme, à convoquer notre regard, notre âme, elles racontent l’alchimie des instants de magie blanche, de la fusion parfaite. Elles témoignent de son éternité.

 

Avec les Terres rares, Xavier Rèche décrit un monde où un repère incertain – le nord magnétique – est désormais le seul besoin. Les délicates flèches métalliques, orientées puis perturbées par un électro-aimant, oscillent sur le sol de la cave où elles sont posées, au jardin d’Hélys. Deux sources de lumière, projetées sur ces entités fragiles, découpent çà et là des zones d’ombre fractales, fuyantes et sans cesse déplacées. La nécessité des alentours, et des cernes, s’estompe et voilà que le créateur s’échappe, plus loin encore, dans l’abîme à circonscrire de son / notre univers.

 

Je ne connais pas Xavier Rèche. Ce n’est pas le sujet.

 

Delphine Costedoat, (Le Festin, Automne 2007. Premier état du texte avant publication, Droits réservés).